jeudi 11 novembre 2010

LIVRE I La Genèse 1er épisode

Chapitre I

Le curé accepta cette responsabilité et il me donna à celle qui devint ma mère. Deux semaines après le départ d’Anton, Estella Sastre, la servante célibataire et peu attirante du curé, décida de m’adopter. Ce ne fut pas compliqué: c’était une de mes lointaines cousines et le lien de parenté ne fut découvert une fois les obsèques terminées, après que les créanciers se soient accaparés du maigre héritage.

 Estella n’était pas jeune et personne ne s’intéressait à elle. À vrai dire, c’était une femme assez bizarre. Les enfants lui avaient toujours manqué, et elle sauta sur l’occasion de me prendre en charge. Superstitieuse et agitée, on la trouvait parfois trop intense. Souvent, en me nourrissant, ma mère «prévoyait» mon avenir. Elle disait que je serais grand, beau et aimé de tous. Malheureusement, elle ne serait pas là pour le voir ! Se lamentait-elle. Ainsi s’amorça ma petite enfance.

Ma jeunesse fut unique.  À deux ans, M. le curé Gamiel et Estella virent que je ne jouais pas, que je gaspillais mon temps à me balancer sur une chaise de bois. À quoi je pensais, Dieu seul le sait. Jamais la poussière, la sueur ou la terre humide n’avaient taché mes habits. Dans le pire des cas, des miettes de biscuit ou de la confiture venaient en gâter la blancheur. La pâleur de ma peau fascinait, suscitait des interrogations sur mes origines. Certains villageois me calomniaient, se méfiaient de ma beauté enfantine, étant incapables de la voir chez les autres mômes. Parfois, ils murmuraient des mots comme « démoniaques » ou « malédiction » en me pointant du doigt.

L’abbé Gamiel, lui, ne croyait pas un mot de ces fabulations. Il demeurait d’ailleurs toujours découragé par la superstition de ses paroissiens,  ne comprenait pas comment au vingtième siècle, avec la science et la technologie modernes, l’on pût encore avoir recours à de telles croyances. Les villageois couraient vers les lectures de cartes, les sorts et les objets magiques. Malgré cela, il prenait à coeur les responsabilités de son ministère et exerçait la plus pure dévotion envers Dieu et ses saints. Même à la fin de sa vie, il partait donner les sacrements aux malades et accueillait ceux dans le besoin dans les chambres vacantes du presbytère.

Devant mon manque d’intérêt pour les jeux, le curé dit tout simplement qu’il fallait m’instruire. Dès mon quatrième anniversaire, il commença à m’apprendre à lire, à écrire, à compter et à méditer. Il m’offrit un pupitre verni, une plume et un encrier et me permit d’user bibliothèque remplie de volumes fascinants. Je substituai la chaise de la cuisine pour le fauteuil de la salle de lecture. Avec un étrange plaisir, je parcourais les étagères remplies de vieux volumes. Des chef-d’œuvres littéraires jusqu’aux ouvrages spirituels, en passant par les documents scientifiques et mathématiques, plus tard, je les ai tous lus sans exception en les comprenant plus ou moins.
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