vendredi 29 octobre 2010

Neuf mois plus tard. Au fond d’une chambre lugubre, un nourrisson, Joan Carles, sommeille dans la lumière glauque de l’aube. Dans la chambre voisine, Anton se lève du lit où il dort seul et menace Dieu de son poing, crachant un chapelet de blasphèmes. Il ravale la boule d’amertume qui reflue dans sa gorge, Maria, morte en donnant naissance, n’est plus à son côté.

 Anton déteste cet enfant, il le hait plus que Dieu. Depuis le décès de son père, il  n’a plus de famille dans la région, et ne peut laisser le bébé chez une parente. Mais il a résolu que, dès que l’occasion se présentera, il se débarrassera de l’enfant détesté, quelles que soient les conséquences. Comme le bébé pleure, il le nourrit de lait chaud le faire taire. Il va ensuite dans la cuisine déjeuner de pain sec et de café. Après, il doit partir pour l’horlogerie où il travaille, et se rend à la minuscule écurie détacher son cheval. Une bonne femme du village viendra bientôt prendre l’enfant en charge.

Le soleil se lève, envahissant l’horizon .Le ciel est d’un rose sinistre. Sur la route étroite, Anton rêve. Son cheval avance pesamment, passe au milieu des arcades et s’arrête sur la place devant la fontaine sous de grands palmiers brunis par l’hiver.

Arrivé, Anton attache son cheval à un poteau et franchit les trois premières marches de l’horlogerie.
-Bon dia  Anton, M. Pomar le salue sans même le regarder.
Jorge Pomar, cher ami du père d’Anton est un commerçant juif bien respecté au village. Après le décès de celui-ci, M. Pomar a repris l’horlogerie en main.

Anton le salue machinalement et se dirige vers le mur du fond, mettre le calendrier à jour. Jorge a  la tête enfouie dans l’horloge du notaire, tentant en vain d’équilibrer le balancier. Découragé, il soupire et se retourne.
— On a reçu une offre de M. Javiero, dit M. Pomar en essuyant ses lunettes. Elle est généreuse, il faudra y penser.
-Peut-être, répond Anton, la tête inclinée.

Depuis quelque temps, le commerce s’est mis à décliner. L’horlogerie est en vente.
— Est-ce que le courrier est arrivé ? demande le jeune homme d’un air curieux.
— Pas encore, répond son ami sans s’attarder sur la question. Un silence s’impose brièvement. Il se rompt lorsque le facteur franchit la porte d’entrée.
— Bon dia, messieurs, s'exclame t-il, d’un ton plus fort qu’à l’accoutumée.

Anton ne le salue pas mais lui demande tout de suite s’il a du courrier. Le facteur plonge la main dans son sac, sort une enveloppe et  quitte la boutique sans susciter plus d’attention. Anton fixe la lettre, n’osant pas l’ouvrir. L’adresse indiquait tout, le gouvernement se rappelle à lui. A vingt ans, il était tombé à cheval et avait eu le genou dans le plâtre pendant trois mois. Ensuite, la surprise de sa vie, il avait appris sa paternité. Vinrent plus tard les noces, les funérailles et tous les brouhahas. Donc, il avait pu éviter le service militaire. Maintenant, il ne peut plus contourner la corvée. Il doit participer à la défense du pays tant méprisé par lui, l’Espagne. Il se trouve  incapable de réagir et marmonne tout bas :-Degut en aqueix país de merda,podré realitzar el meu vole, podré abandonar el meu fí, però, Deú meu, pagaré per aquesta traiciò. - Grâce à cette nation de merde, je pourrais exaucer mes vœux et abandonner Joan Carles, mais mon Dieu, je vais payer pour cette trahison !


Agité, il ne pouvait pas contrôler son anxiété. Jorge redresse la tête pour lui poser une question  mais avant d’articuler trois mots, Anton n’est déjà plus là.

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